Plateforme Microscopies Champ proche

Responsables : K. Bouzehouane, A. Vecchiola

Dès 1998, la microscopie en champ proche a été introduite au laboratoire afin d’accompagner l’émergence des nanosciences dans ses thématiques de recherche. Depuis, cette activité n’a cessé de développer et d’évoluer afin de répondre aux évolutions constantes des thématiques de recherche du laboratoire ; d’une part en développant la maîtrise à l’état de l’art de modes spécifiques de microscopie à sonde locale ; d’autre part, par des développements instrumentaux, aussi bien en interne qu’en collaboration avec des laboratoires académiques, de grands industriels du secteur, des startups et des PME françaises.

Aujourd’hui, la plateforme « Microscopies Champ Proche » du Laboratoire Albert Fert s’appuie sur les compétences de deux ingénieurs CNRS, et sur un parc de 12 microscopes ayant chacun leur spécificité pour l’imagerie magnétique, de piézoréponse, des propriétés de transport électronique, de spectroscopie RAMAN et de photoluminescence… L’ensemble de ces modes pouvant être opéré sous atmosphère contrôlée, sous vide, sous champ magnétique, à basse température, in operando, en boîte à gants… Véritable couteau suisse du champ proche, la plateforme irrigue la majeure partie des opérations de recherche du laboratoire (spintronique, magnonique, oxydes fonctionnels, multiferroïques, 2D-VdW, électronique moléculaire, supraconducteurs…).

De gauche à droite : MFM sous champ (MFP3D/Asylum Research), PFM (Multimode/Bruker), CT-AFM (Multimode/Bruker), Large sample (ICON/Bruker), Vacuum-AFM (ESCOPE/Bruker), Cryogenic AFM (ATTO-AFM I/Attocube), PFM-lithography (Cypher/Asylum research)
Graphène sur carbure de silicium, la conductivité locale (en couleur) varie avec le nombre de feuillets

Conductive Tip-Atomic Force Microscopy (CT‑AFM)

Le mode CT-AFM consiste à mesurer la conduction locale entre une pointe AFM conductrice et un échantillon. Il permet de cartographier les propriétés de transport de couches minces et d’hétérostructures, de mesurer des caractéristiques Courant- Tension locales, ou de prendre un contact électrique sur un composant nanométrique pour en analyser les propriétés de transport électronique.

Ce mode a été utilisé par exemple pour valider le caractère tunnel du transport électronique au travers de diverses couches isolantes ultraminces, pour l’optimisation de dispositifs de type jonctions tunnel à base de h-BN ou d’oxydes ferroélectriques tels que BiFeO3 ou BaTiO3 (Thèses H. Béa, M. Piquemal).

Graphène sur carbure de silicium, la conductivité locale (en couleur) varie avec le nombre de feuillets

Piezoresponse Force Microscopy (PFM)

Le mode PFM permet d’imager les textures polaires des matériaux ferroélectriques via la réponse piézoélectrique de ces derniers. La combinaison de la réponse hors plan et dans le plan de la surface de l’échantillon (vectorial PFM) permet de déterminer en tout point le vecteur de polarisation dans le matériau sondé. Le PFM permet également de mesurer localement des cycles hystérétiques, et de déterminer les champs coercitifs de basculement de la polarisation ferroélectrique. Ce mode peut être utilisé pour inscrire des configurations de domaines rémanents dans des dispositifs (« lithographie ferroélectrique »).

La maîtrise à l’état de l’art de ce type d’imagerie a permis par exemple l’étude de barrières tunnel multiferroïques (Thèse M. Gajek) ou la manipulation de la supraconductivité par effet de champ dans des hétérostructures hybrides Ferroélectrique/Supraconducteur (Thèse A. Crassous).

L’interfaçage du microscope PFM avec des mesures de transport permet également d’observer les propriétés in-operando de composants fonctionnels tels que des memristors ferroélectriques. La pointe du microscope est utilisée comme une électrode mobile qui permet de mesurer les propriétés de transport de ces composants, de modifier leur état de résistance par l‘application d’impulsions (ns) de tension mais également d’imager la configuration des domaines ferroélectriques correspondant à cet état au sein des composants (Thèse A. Chanthbouala).

Exemple de lithographie-PFM : Les zones noires et claires correspondent à différentes orientations de la polarisation ferroélectrique obtenues en appliquant une tension positive ou négative entre la pointe AFM et l’échantillon.
Imagerie MFM de skyrmions magnétiques dans une barre de Hall.

Magnetic Force AFM (MFM)

Le mode MFM permet d’imager les textures magnétiques d’un échantillon, via l’interaction d’une pointe AFM à revêtement magnétique avec les champs de fuite rayonnés par les domaines magnétiques. Les propriétés du revêtement magnétique de la pointe résultent d’un compromis entre avoir une interaction suffisante pour générer un signal mesurable mais limitée pour ne pas perturber les textures magnétiques observées. C’est pourquoi la plateforme « champ proche » développe ses propres revêtements magnétiques de pointes (cf. plateforme croissance) afin de s’adapter au mieux aux caractéristiques de chacun des systèmes (aimantation, coercivité, anisotropie…).

L’interfaçage du microscope MFM avec des mesures de transport permet également de combiner l’imagerie sous champ magnétique, la mesure électrique de dispositifs et leur manipulation par des impulsions de courant. La dynamique des déplacements de skyrmions dans des pistes métalliques submicroniques (Thèse W. Legrand) a par exemple pu être étudiée par la combinaison de séquences d’imagerie du composant et d’impulsions de courant.

Imagerie MFM de skyrmions magnétiques dans une barre de Hall.
De gauche à droite : SNVM (Qnami), Nano-Raman AFM (HORIBA), Vacuum-MFM (HIVAC/Park System & Caylar), SNVM (Qzabre)

Vacuum Magnetic Force Microscopy (Vacuum-MFM)

Pour certains systèmes à faible aimantation (nanostructures, matériaux ferrimagnétiques, couches ferromagnétiques ultra-minces…), la sensibilité du MFM standard devient insuffisante, même avec des pointes optimisées. La plateforme champ proche a développé une nouvelle approche de MFM sous vide (collaboration avec la société Park Instrument) permettant de gagner plus d’un ordre de grandeur en sensibilité tout en restant dans un schéma classique de modulation d’amplitude. Pour permettre la manipulation des textures magnétiques in situ, ce microscope a été modifié par l’implémentation d’un champ magnétique variable (collaboration avec la société Caylar). Cet instrument a permis, par exemple, d’imager des skyrmions au sein de multicouches de type « synthetic antiferromagnet » (Thèse W. Legrand).

A gauche : Observation d’un échantillon de type « Synthetic Anti Ferromagnet multilayer » en MFM standard. A droite : Observation du même échantillon en vacuum-MFM. Les disques sombres correspondent à des skyrmions.
Texture cycloidale de spin dans l’oxide antiferromagnétique BiFeO3 par magnétométrie NV

Scanning NV Magnetometry

Pour certains systèmes, l’observation du nano-magnétisme par interaction avec une pointe AFM magnétique atteint ses limites aussi bien en termes de sensibilité (matériaux antiferromagnétiques), que de perturbation de l’échantillon (matériaux à faible coercivité pour la magnonique). L’AFM à « centre NV du diamant » (Scanning NV Magnetometer ou SNVM) constitue une avancée majeure dans l’imagerie du nanomagnétisme puisqu’il permet de gagner 3 à 4 ordres de grandeur en sensibilité comparé au MFM, tout en restant non perturbatif. Cette technique a notamment été développée en France par l’équipe de Vincent Jacques (L2C Univ. Montpellier), avec laquelle la plateforme champ proche entretient une collaboration étroite. Nous avons initié une collaboration réunissant la société HORIBA (expertise en AFM avec couplage optique), la société Qnami (pointes à centre NV) et notre laboratoire (expertise en AFM et nanomagnétisme) avec pour objectif d’équiper le laboratoire, en favorisant le développement d’un microscope commercial. Ce projet a reçu le soutien du CNRS et de la région IdF (projet Sésame « ImageSpin »). Le premier instrument de ce type est aujourd’hui pleinement opérationnel au laboratoire. Un second instrument disposant d’un champ magnétique variable et d’une encore plus grande sensibilité (gradiométrie NV) vient d’être acquis dans le cadre de l’EQUIPEX E-DIAMANT.

Texture cycloidale de spin dans l’oxide antiferromagnétique BiFeO<sub>3</sub> par magnétométrie NV

Cryogenic SPM

La plupart de ces techniques d’imagerie peuvent être mises en œuvre à basse température grâce à un microscope cryogénique (Atto-AFM I d’Attocube). Cet instrument a permis par exemple d’imager le gaz électronique bidimensionnel à l’interface SrTiO3/LaAlO3 à basse température (4 K) ou bien d’étudier la transition de phase métal-isolant dans le nickelate NdNiO3 en imageant la percolation des domaines conducteurs en fonction de la température (D. Preziosi Nanoletters 2018).

Images CT-AFM d’un film de NdNiO3 pouvant être réalisées à différentes températures
Cartographie de la raie d’émission Raman vers 337 cm-1 d’un « flocon » de WS2 sur silicium

RAMAN SPM

La plateforme « Microscopies Champ Proche » s’est récemment dotée d’un système de microscopie dédié aux analyses des matériaux 2D et moléculaires pour la spintronique. Cet instrument associe un AFM avec des capacités de spectroscopies optiques colocalisées telles que la spectroscopie Raman ou la photoluminescence. La résolution spatiale de ces spectroscopies, normalement restreinte à plusieurs centaines de nm par la limite de diffraction, peut dans ce cas être dépassée grâce aux méthodes optiques dites « Tip-enhanced spectroscopies » utilisant le phénomène d’exaltation du champ électromagnétique local par la pointe de l’AFM donnant accès à des résolutions spatiales « optiques » typiquement de qq 10 nm.

Cartographie de la raie d’émission Raman vers 337 cm-1 d’un « flocon » de WS2 sur silicium

La plateforme microscopies champ proche s’appuie sur de nombreuses collaborations nationales et internationales :

  • Collaborations académiques : GEEPS Central Supelec (France), L2C Univ. Montpellier (France), Thales-RT (France), SPMS Centrale Supelec (France), C2N Univ. Paris Sacaly (France), LPS Univ Paris Saclay (France), Sextant Soleil (France),  SPEC CEA (France), Univ. Canterburry (Nouvelle Zélande), Univ. Arkansas (Etats-Unis), ETH Zurich (Suisse).
  • Collaboration industrielles (Instrumentation) : HORIBA (France/Japon), BRUKER nano (Allemagne), Concept Scientific Instruments (France), Qnami (Suisse), Qzabre (Suisse), Park System (Corée du sud), Caylar (France).