Des physiciens ont réussi à former un réseau de quatre nano-oscillateurs couplés capable de reconnaître des voyelles parlées en accordant leurs fréquences selon une règle automatique d’apprentissage en temps réel. Ils montrent que les taux de reconnaissance expérimentaux élevés découlent de la capacité exceptionnelle de ces oscillateurs à se synchroniser.

En contraste avec les algorithmes phares utilisés en intelligence artificielle qui réside sur des réseaux de neurones artificiels, des physiciens travaillent sur des composants physiques inspirés des neurones biologiques. Chacun de ces composants nanométriques joue le rôle d’un nano-neurone capable de résoudre des problèmes complexes, grâce aux phénomènes de synchronisation de ses oscillations magnétiques.

Le composant étudié par les chercheurs de l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales, du Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies – C2N (CNRS/UPSUD) et de l’AIST au Japon est composé de couches magnétiques et non-magnétiques à l’échelle nanométrique. Il y a un an, l’étude avait montré qu’un seul de ces composants pouvait se comporter comme un neurone artificiel et détecter des chiffres parlés avec un taux de reconnaissance élevé (à l’état de l’art international). Le composant unique réalisait le réseau de neurones à lui tout seul en effectuant successivement le travail de chaque neurone.

Les couplages dynamiques entre plusieurs composants pourraient être utilisés pour jouer le rôle de communication synaptique entre les neurones. Cependant, un défi majeur pour la mise en œuvre de ces modèles avec des nano-dispositifs est de parvenir à l’apprentissage, ce qui nécessite de contrôler finement et de régler l’oscillation couplée des composants. Les caractéristiques dynamiques des nanodispositifs peuvent en effet être difficiles à contrôler, et sujettes au bruit et à la variabilité. C’est ce défi d’ajustement fin des oscillations qui a été relevé dans ces nouveaux travaux. Les chercheurs montrent que l’accordabilité exceptionnelle des nano-oscillateurs spintroniques, c’est-à-dire la possibilité de contrôler largement et précisément leur fréquence à travers le courant électrique et le champ magnétique, peut résoudre ce problème. Ils forment avec succès un réseau matériel de quatre nano-oscillateurs à transfert de spin pour reconnaître les voyelles parlées en accordant leurs fréquences selon une règle automatique d’apprentissage en temps réel. Ils montrent que les taux de reconnaissance expérimentaux élevés découlent de la capacité exceptionnelle de ces oscillateurs à se synchroniser. Leurs travaux sont publiés dans la revue Nature.

Les quatre neurones sont expérimentalement mis en œuvre avec quatre nano-oscillateurs à transfert de spin ; des jonctions tunnel magnétiques circulaires de 375 nm de diamètre et une couche libre de Fer Bore avec un vortex comme état fondamental. Les interconnexions neuronales symétriques sont implémentées en connectant électriquement les quatre oscillateurs en utilisant des fils millimétriques : dans cette configuration, le courant micro-onde généré par chaque oscillateur se propage dans la boucle électrique hyperfréquence et influe à son tour sur la dynamique, en particulier la fréquence, des autres oscillateurs. Les oscillateurs sont ainsi couplés. La somme de toutes les émissions de micro-ondes est détectée par un analyseur de spectre. Avec ce réseau de neurones, les chercheurs ont reconnu des voyelles prononcées par différentes personnes. Les signaux audios de chaque voyelle sont transformés par analyse de Fourier en deux fréquences, accélérées cent mille fois puis appliquées par une antenne aux nano-oscillateurs sous forme de signaux micro-ondes de forte amplitude, qui peuvent synchroniser les oscillateurs. Les voyelles sont correctement reconnues et classées si chaque voyelle entraine une configuration de synchronisation spécifique quelle que soit la personne qui la prononce : par exemple pour la voyelle « ih » un seul oscillateur est synchronisé, pour la voyelle « ah », deux oscillateurs sont synchronisés. Ce comportement n’est pas inné : le réseau doit être entrainé à y parvenir. Pour ceci, les chercheurs ont modifié progressivement la fréquence de chaque oscillateur en ajustant le courant continu qui circule dans chacun selon une loi d’apprentissage.

Ces résultats démontrent que des tâches de classification de formes non triviales peuvent être réalisées avec de petits réseaux neuronaux physiques en leur conférant des caractéristiques dynamiques non linéaires : ici, oscillations et synchronisation. Cette démonstration de l’apprentissage en temps réel avec un ensemble de quatre nano-oscillateurs à couple de transfert de spin est une étape importante pour l’informatique neuromorphique basée sur la spintronique. Les perspectives de recherche vont consister à coupler un plus grand nombre de composants entre eux.

Référence : Vowel recognition with four coupled spin-torque nano-oscillators. Miguel Romera, Philippe Talatchian et al., Nature 2018

Contact : Julie Grollier, directrice de recherche CNRS à l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales, et Damien Querlioz, chargé de recherche CNRS au Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N)

Approche pour la classification des modèles avec des nano-oscillateurs couplés à couple de rotation. (a) Schéma du réseau de neurones émulés. (b) Schéma du montage expérimental avec quatre oscillateurs de couple de spin connectés électriquement en série et couplés par leurs propres courants hyperfréquences. Deux signaux hyperfréquences codant des informations dans leurs fréquences sont appliqués au système via une bande, ce qui se traduit par deux champs hyperfréquences. La sortie hyperfréquence totale du réseau d’oscillateurs est enregistrée avec un analyseur de spectre. (c) Sortie hyperfréquence émise par le réseau de quatre oscillateurs sans (bleu clair) et avec (bleu foncé) les deux signaux hyperfréquences appliqués au système. Les deux courbes ont été décalées verticalement pour plus de clarté. Les quatre pics de la courbe bleu clair correspondent aux émissions des quatre oscillateurs. Les deux pics étroits rouges de la courbe bleu foncé correspondent aux signaux hyperfréquences externes de fréquences fA et fB. (d-e) Apprendre à classer les patterns en réglant les fréquences des oscillateurs. Carte de synchronisation expérimentale en fonction des fréquences du ou des signaux externes avant l’entraînement (e) après l’entraînement. Les points colorés représentent les entrées appliquées au réseau oscillatoire : prononcées par différentes enceintes. Différentes voyelles sont de différentes couleurs. Crédits UMPHY/C2N - CNRS/Thales/UPSud