J.Y. Chauleau, W. Legrand, N. Reyren, D. Maccariello, S. Collin, H. Popescu, K. Bouzehouane, V. Cros, N. Jaouen, A. Fert “Circular dichroism in magnetic resonant scattering as a probe of the interfacial chiral exchange interaction in magnetic multilayers”, Physical Review Letters 120, 037202 (2018)
Les propriétés magnétiques des matériaux multicouches ultraminces possédant une anisotropie magnétique perpendiculaire (PMA) ont été largement étudiées dans les années 90, avec la promesse d’augmenter considérablement la densité de stockage. Ces systèmes multicouches sont généralement fabriqués en empilant de fines couches de métaux lourds et de métaux magnétiques, le système prototype étant Pt/Co. La PMA a pour origine l’action du couplage spin-orbite (CSO) aux interfaces, mais cette interaction a d’autres conséquences : un nouvel effet physique a été prédit et révélé il y a quelques années pour ces systèmes hybrides métal lourd / métal, lorsqu’il a été découvert que la rupture de symétrie d’inversion existant aux interfaces, associée au fort CSO à l’interface, produisait une forte interaction d’échange non symétrique nommée l’interaction Dzyaloshinskii-Moriya (DMI), comme l’avait déjà prédit Albert Fert en 1990. Il est important de noter qu’une telle interaction DM aux interfaces peut être forte au point de créer de nouveaux états magnétiques de la matière, qui présentent tous une torsion de leur configuration de l’aimantation avec une direction d’enroulement invariable définie par le signe de cette interaction chirale. Les exemples les plus célèbres sont les spirales de spin, les parois de domaine magnétiques chirales, ou encore les skyrmions magnétiques.
Principe de la mesure XRMS et configuration expérimentale. (a) Texture de l’aimantation dans la multicouche [Ir(1)/Pt/Co(0.6)/Pt(1)]×5 obtenue par simulations micromagnétiques. (b) Image de phase MFM de 6 × 6 μm² présentant le contraste magnétique hors du plan de la multicouche [Ir(1)/Pt/Co(0.6)/Pt(1)]×5 avec sa figure de FFT (encart) mettant en évidence des domaines magnétiques désordonnés d’une période de 180 ± 30 nm. (c) Image par soustraction normalisée (CL-CR=CL+CR) mettant en évidence une asymétrie magnétique prononcée.
Toutes les découvertes réalisées récemment avec ces systèmes magnétiques chiraux ne peuvent être résumées en quelques lignes, mais on peut mentionner entre autres la prédiction de parois de domaine de Néel chirales en raison de l’interaction DMI à l’interface, qui sont les seules qui peuvent être déplacées efficacement par des couples spin-orbite dû à l’effet Hall de spin, ou plus récemment l’observation de petits skyrmions magnétiques à température ambiante dans les multicouches magnétiques. En fait, ce vif intérêt provient dans une certaine mesure de la promesse de pouvoir tirer parti à terme des propriétés uniques de ces nouvelles textures magnétiques chirales afin de développer de nouveaux dispositifs pour des mémoires futures et/ou des dispositifs logiques de spin, tels que la quatrième génération de mémoires « racetrack » basées sur les parois de domaines (chirales).
Dans cette étude, nous démontrons la possibilité grâce à la diffusion magnétique résonante de rayons X (XRMS) d’accéder de façon directe et simple aux textures magnétiques existant dans les multicouches magnétiques ultrafines avec anisotropie perpendiculaire et interaction chirale de grande amplitude (interfaciale), notamment les systèmes multicouches de Pt/Co/Ir. Le résultat principal est que nous prouvons, par une analyse détaillée, mais simple, du dichroïsme circulaire en XRMS que cette mesure nous permet d’identifier non seulement la direction mais aussi le sens de l’enroulement magnétique, et par conséquent le signe de l’interaction DMI. Notons que contrairement à la plupart des approches existantes, cette détermination ne nécessite aucune hypothèse préalable, ni la nécessité d’associer aux mesures de des simulations micromagnétiques dépendant de paramètres.
Dans une perspective plus large, nous somme convaincus que la diffusion résonante de rayons X peut s’avérer un outil unique pour étudier le type et la chiralité de la phase magnétique de tout matériau ferroïque (magnétique, électrique, multiferroïque), et que ce type d’étude pourraient être étendues avec profit à d’autres systèmes présentant un ordre électrique/magnétique non colinéaire tels que les réseaux skyrmioniques ou les phases coniques/hélicoïdales stabilisées par l’interaction de Dzyaloshinskii-Moriya.
Ce travail est le produit d’une collaboration fructueuse entre l’équipe de la ligne de lumière SEXTANTS du synchrotron SOLEIL à Gif-sur-Yvette et l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales à Palaiseau, tous deux intégrés à l’Université Paris-Saclay. Nous soulignons aussi l’aide financière procurée par les subventions européennes FLAG-ERA SoGraph (ANR-15- 356 GRFL-0005) et MAGicSky (FET-634 Open-665095).