La réalisation d’un état électronique qui combine cohérence quantique macroscopique et polarisation de spin à des températures relativement élevées permet d’envisager des nouvelles applications spintroniques.
L’effet Josephson résulte du couplage de deux supraconducteurs à travers un matériau non-supraconducteur (isolant, métal ordinaire, graphène…), permettant le passage d’un supra-courant électrique sans résistance, et donc, sans dissipation d’énergie. Il est aussi caractérisé par des phénomènes de quantification du flux magnétique et d’interférence quantique, qui se manifestent par une modulation du supra-courant sous champ magnétique et des résonances sous rayonnement électromagnétique. Ces propriétés uniques sont la pierre angulaire de l’électronique supraconductrice. Pendant des années, des chercheurs ont poursuivi le couplage Josephson à travers des ferromagnétiques, car ceux-ci ajoutent une propriété intéressante : leurs électrons de conduction sont polarisés en spin et constituent un vecteur d’information, exploité par ailleurs dans un autre champ, celui de la spintronique. En effet, l’objectif ultime a été de développer une « spintronique supraconductrice » dans laquelle l’information portée par le spin serait protégée par la cohérence quantique et traitée via l’effet Josephson.
Dans cette quette, la génération de supraconductivité du type « triplet » a joué un rôle majeur, car elle permet d’outrepasser l’antagonisme naturel entre ferromagnétisme et supraconductivité conventionnelle. Cependant, les réalisations expérimentales ont été circonscrites à des supraconducteurs à très basse température (quelques K), et les effets Josephson à très longue distance (au-delà de 10 nanomètres), notamment les phénomènes d’interférence liés à la cohérence quantique, sont restés jusqu’à là insaisissables. Ces verrous ont été levés par les expériences qui viennent d’être publiées, qui démontrent l’effet Josephson à haute température (dizaines de K) et sur de très longues distances (micromètres) à travers d’un demi-métal ferromagnétique dans lequel la polarisation de spin est quasiment totale.
Les chercheurs ont fabriqué des hétérostructures à base d’oxydes supraconducteurs à haute température YBa2Cu3O7 et du demi-métal ferromagnétique La0.7Sr0.3MnO3, à l’aide de techniques de pulvérisation cathodique et lithographie. Ils ont ainsi obtenu des jonctions planaires permettant d’étudier le couplage entre deux électrodes d’YBa2Cu3O7, séparées par un canal de La0.7Sr0.3MnO3 de taille micrométrique. À l’aide mesures de magnéto transport, ils ont démontré la circulation d’un supra-courant à travers le La0.7Sr0.3MnO3 , sa modulation par l’application du champ magnétique, et des phénomènes de résonance produits par l’absorption de rayonnement électromagnétique (microondes) qui démontrent la cohérence de phase macroscopique, et présentent par ailleurs des caractéristiques non-conventionnelles attendues dans le cadre de la supraconductivité de type « triplet ».
Ces travaux sont le résultat d’une collaboration entre une équipe de l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales, l’Université Complutense de Madrid (Espagne), le Laboratoire de Physique et Etudes des Matériaux (CNRS et ESPCI, Paris) et le Laboratoire Ondes et Matière d’Aquitanie (CNRS et Université de Bordeaux). Ils ont été réalisés dans le cadre du projet ERC « SUSPINTRONICS » et du projet ANR « SUPERTRONICS ».
Extremely long range, high-temperature Josephson coupling across a half metallic ferromagnet
D. Sanchez-Manzano, S. Mesoraca, F. Cuellar, M. Cabero, V. Rouco, G. Orfila, X. Palermo, A. Balan, L. Marcano, A. Sander, M. Rocci, J. Garcia-Barriocanal, F. Gallego, J. Tornos, A. Rivera, F. Mompean, M. Garcia-Hernandez, J. M. Gonzalez-Calbet, C. Leon, S. Valencia, C. Feuillet-Palma, N. Bergeal, A.I. Buzdin, J. Lesueur, Javier E. Villegas* and J. Santamaria
Nature Materials, (2021) https://doi.org/10.1038/s41563-021-01162-5