Les multiferroïques sont une famille de matériaux au sein desquels coexistent deux propriétés qui ne vont généralement pas ensemble : le magnétisme et la ferroélectricité. Le magnétisme apparaît naturellement dans certains matériaux (comme le fer) qui possèdent une aimantation rémanente, c’est-à-dire qu’elle subsiste une fois le champ magnétique coupé. La direction de l’aimantation rémanente peut être renversée par application d’un champ magnétique opposé, offrant ainsi un effet mémoire. Un composé ferroélectrique possède des dipôles électriques qui, une fois alignés par un champ électrique, génèrent une polarisation, également rémanente, qui peut aussi être renversée par application d’un champ électrique. Normalement, la ferroélectricité – et donc le caractère multiferroïque – ne se trouve que dans les isolants, mais une équipe de l’Unité Mixte de Physique CNRS, Thales, Université Paris-Saclay (en collaboration avec le CNR SPIN et l’Université Federico II de Naples, le Paul Scherrer Institute et le CRISMAT de Caen) a récemment découvert un nouveau type de matériau à fois ferroélectrique et magnétique tout en étant un excellent conducteur électrique.

Ce nouveau matériau est un type de gaz bidimensionnel d’électrons – un conducteur métallique épais de seulement quelques plans atomiques – se formant à l’interface entre deux composés de la famille des oxydes à structure pérovskite. Les résultats de cette étude montrent pour la première fois que ferroélectricité, magnétisme et métallicité se retrouvent dans le même système. De plus, ces trois propriétés sont couplées, c’est-à-dire qu’agir sur une affecte les autres : par exemple, l’application d’un champ électrique pour renverser la polarisation ferroélectrique modifie de façon rémanente la résistance électrique du gaz d’électrons. Ses propriétés de transport électronique sont par ailleurs modulées par ses propriétés magnétiques, le tout étant contrôlé par la direction de la polarisation ferroélectrique.

La coexistence de ces propriétés et la possibilité de les contrôler facilement avec une tension électrique ouvre la voie vers de nouveaux dispositifs pour le stockage d’information et le calcul à faible consommation d’énergie.

Ces travaux ont été financés par l’ERC AdG FRESCO (#833973)

Coexistence and coupling of ferroelectricity and magnetism in an oxide two-dimensional electron gas, J. Bréhin et al, Nature Physics
https://www.nature.com/articles/s41567-023-01983-y

Schematic cross-section of a sample containing a multiferroic electron gas. It is a multilayer of oxides with a perovskite structure ABO3. The upper layer (in blue) is made of LaAlO3, the intermediate layer (in orange) of EuTiO3 and the lower layer of Ca-SrTiO3. The electron gas extends into the first 2-3 layers of Ca-SrTiO3. The horizontal arrows represent the magnetic moment carried by the atoms. Ca-SrTiO3 is ferroelectric : the atoms are off-centered which generates an electric dipole. The amplitude and direction of the dipoles (different between the left and right parts of the figure) influence the size of the magnetic moments, corresponding to a magnetoelectric coupling in the electron gas.